Les deux sentiers de la paresse intellectuelle
Les deux sentiers de la paresse intellectuelle
“Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes qui, l’une comme l’autre, nous dispensent de réfléchir.” — Henri Poincaré
Cette phrase attribuée au mathématicien et philosophe des sciences Henri Poincaré sonne comme un scalpel. En quelques mots, elle dissèque les deux pièges les plus courants dans lesquels tombe notre esprit lorsqu’il est confronté à la complexité : la crédulité totale et le cynisme absolu.
Ce sont deux sentiers qui semblent opposés, mais qui mènent en réalité au même endroit : une zone confortable où l’on n’a plus besoin de faire l’effort de penser.
Tout croire : Le confort de la confiance aveugle
Accepter ce qui est présenté comme une évidence est simple et rassurant. Plus particulièrement encore à l’ère numérique, ce sentier est large et bien balisé :
- On accepte le titre d’un article sans lire le contenu.
- On partage une information parce qu’elle vient d’une source qui confirme nos propres opinions.
- On adopte le jargon d’une nouvelle technologie (IA, blockchain…) sans en questionner les fondements.
C’est commode, car cela nous dispense de l’effort de vérification, de la nuance, et de la confrontation avec des idées qui pourraient déstabiliser notre vision du monde. On délègue notre jugement à une autorité extérieure.
Douter de tout : Le refuge du cynisme
À l’autre extrême du spectre se trouve une paresse qui se déguise en intelligence. Le doute radical, le rejet systématique de toute information, est tout aussi confortable.
- “Tous les médias mentent.”
- “C’est un complot.”
- “De toute façon, on ne saura jamais la vérité.”
Cette posture, en apparence critique, est en réalité une autre façon de fuir la complexité. C’est également commode, car cela nous évite d’avoir à construire un argumentaire, à trier les sources, à évaluer les niveaux de preuve et à accepter qu’une vérité puisse être partielle ou provisoire. On se réfugie dans une forteresse de négation.
La troisième voie : Le travail de la réflexion
Le chemin que propose Poincaré se trouve sur un sentier plus escarpé, celui qui se situe entre ces deux extrêmes. C’est le chemin de la zététique; celui du doute méthodique.
C’est le chemin qui consiste à accepter qu’une affirmation n’est ni vraie ni fausse par défaut, mais qu’elle doit être évaluée.
Cette voie exige un travail :
- Évaluer les sources : Qui parle? Quelle est sa compétence? Quelles sont ses intentions?
- Comprendre les arguments : Quelle est la logique? Y a-t-il des failles, des biais?
- Accepter la nuance : Une idée peut être partiellement vraie. Une solution peut avoir des avantages et des inconvénients.
- Reconnaître sa propre ignorance : Suspendre son jugement quand on ne dispose pas d’assez d’éléments.
C’est un chemin inconfortable, car il ne mène pas à des certitudes faciles. Il mène à une compréhension plus riche, plus nuancée, et finalement plus juste du monde.
Cette citation de Poincaré est un rappel puissant que la véritable pensée critique n’est pas une destination, mais un processus. Un effort constant pour ne choisir ni la foi aveugle, ni le rejet systématique.